26 mai 2021
English text in the second half
Dans son ouvrage « Sapiens, une brève Histoire de l’humanité », Yuval Harari décrit les différentes révolutions qui constituent l’histoire de l’humanité. Si la première révolution est celle de l’agriculture, celle qui signale le départ de la domination de Sapiens sur la terre, la deuxième révolution est celle du mythe. Dans cette phase de l’humanité, « la Révolution des Mythes », Harari inclut entre autres, l’invention des religions et celle du capitalisme. Et pour paraphraser Rivarol qui affirmait « Quand les peuples cessent d’estimer, ils cessent d’obéir » force est de constater que, tant pour la religion que pour le capitalisme, « Lorsque les mythes cessent de servir, ils cessent d’exister ». Depuis une quarantaine d’années, le capitalisme, ce mythe central de notre société, a cessé de servir et sans une véritable révolution éthique, il va cesser d’exister.
Mais avant de tenter de comprendre où se cache le péché mortel du capitalisme post-moderne actuel , il faut revisiter le principe fondateur du capitalisme. Ce mythe se conçoit comme le transfert de responsabilité d’une personne physique, l’entrepreneur, vers une entité juridique la société à responsabilité limitée. Dans ce type de montage accepté par la loi, l’entrepreneur prend le pari suivant : il accepte de risque de perdre son capital pour le gain potentiel d’un profit illimité. Le mécanisme est d’une simplicité lumineuse : en cas de défaillance la société couvre le dommage fait à autrui pour un montant maximum ne pouvant excéder son capital. En cas de succès, l’entrepreneur et ses associés encaissent le fruit de leur pari. Le montant des gains n’est en rien corrélé au montant du capital investi. Les gains mesurent uniquement la qualité des choix faits au nom de la société. Le gain devient la récompense de la vertu des choix de direction. Dans la faillite de la société, les gains antérieurs restent acquis aux actionnaires, les compensations versées aux victimes de cette faillite ne pourront dépasser le montant du capital. Face à une telle dissymétrie, il serait plus correct d’affirmer que c’est l’entrepreneur qui est à responsabilité limitée et non la société.
Lors de la révolution industrielle dans le courant du XIX ième siècle, laissé sans contraintes légales de fonctionnement et de redistribution, le capitalisme a montré son incapacité d’envisager le partage. Cette incapacité d’intégration de la notion de partage conduit tout naturellement, d’un côté à une concentration des richesses des richesses dans un nombre de mains de plus en plus réduit et, de l’autre, à un appauvrissement des classes populaires. Dans son ouvrage de référence « Le capital au XXI ième siècle », Thomas Piketty décrit les mécanismes et conséquences de la concentration des richesses. Si à partir de la fin de la Grande Guerre les démocraties occidentales ont régulé les excès du capitalisme par l’impôt, la négociation sociale et les lois anti-trust (lire anti-monopole), les régimes autocratiques ont produit des révolutions. Celles-ci représentent un processus de confiscation des richesses au profit d’une aristocratie alternative. URSS et Chine Populaire en sont les exemples connus.
Si depuis la fin de la Grande Guerre au milieu des années 1980, le capitalisme occidental a donné, contre ses tendances naturelles, des gages d’acceptation de partage, lois sociales, reconnaissance des syndicats, imposition sur les profits, depuis la chute de l’URSS et la montée des dogmes néolibéraux, cette acceptation du partage a disparu. Avant 1980, la pression fiscale et réglementaire n’avait pas encore disparu. Ces contraintes limitaient la distribution des dividendes aux actionnaires, elles favorisaient l’investissement des bénéfices dans la création de nouveaux produits et services. Aujourd’hui les richesses se concentrent dans un nombre mains de plus en plus réduit, les classes moyennes disparaissent, les monopoles autrefois combattus redeviennent les opérateurs principaux de l’économie. Par leur nature même, les monopoles après avoir éliminé la concurrence perdent le pouvoir de création, quittent le domaine de l’industrie et de l’économie pour prendre en main, par la corruption, le pouvoir politique. Les sommes dépensées par les groupes de pression (Lobbies) lors de campagnes électorales en sont la preuve. Hier les entrepreneurs prenaient le risque de perdre leur mise initiale. Aujourd’hui les monopoles ont atteint des masses telles que, quelque soit la médiocrité de la gestion de leurs dirigeants, lorsqu’ils se trouvent au bord de la faillite, les groupes de direction réussissent à faire croire que leur faillite, leur disparition entraînerait de facto la fin du monde. Lorsque les monopoles font des bénéfices, ceux-ci sont généreusement distribués aux actionnaires et dirigeants. En cas de retournement de tendance, les modèles économiques sclérosés ne génèrent plus de profit et lorsque les dirigeants percutent le mur au fond de l’impasse ils font payer, à l’ensemble de société, via des versements financés par l’impôt, le coût de leur survie. La captation privative des profits en cas de gains, l’effacement des pertes par l’OPM (Other People Money, l’argent des autres) revient à jouer à pile ou face avec la règle suivante : Pile je gagne, Face tu perds. C’est là que se trouve le péché mortel du capitalisme.
Au début du XXI ième siècle, Alan Greenspan, le patron de la Réserve Fédérale plaidait pour un allègement de l’impôt et l’assouplissement de la réglementation. Une fois à la retraite en 2006, lors de la crise financière de 2008, il a constaté que celle-ci avait comme origine la disparition de nombreuses contraintes réglementaires et la faiblesse de l’état pour intervenir massivement. Dans le cadre de cet article proposer une solution serait faire preuve d’arrogance. Ne pas constater l’échec du capitalisme actuel serait faire preuve d’aveuglement.
In his book «Sapiens, a brief History of Humankind», Yuval Harari describes the different revolutions that constitute the history of humanity. If the first Revolution is that of Agriculture. This Revolution marks the beginning of the domination of Sapiens on the earth. The second Revolution is that of myth. In this phase of humanity, the «Myth Revolution», Harari includes, among others, the invention of religions and the invention of capitalism. Paraphrasing Rivarol who affirmed «When peoples cease to esteem, they cease to obey», for both religion and capitalism the sentence could be repeated as follow, «When myths cease to serve, they cease to exist». For about forty years, capitalism, this central myth of our society, has ceased to serve and without a real ethical revolution, it will soon cease to exist.
But before attempting to understand where the mortal sin of post-modern capitalism is hidden, we must revisit the founding principle of capitalism. This myth is understood as the transfer of responsibility from a real person, the entrepreneur, to a legal entity the limited liability company, LLC. In this type of configuration defined by law, the entrepreneur takes the following bet: he accepts the risk of losing his capital for the possible unlimited profit. The mechanism is of a luminous simplicity: in case of failure the company liability cannot exceed its capital. In case of success, the entrepreneur and his associates receive the fruit of their bet. The amount of gains does not correlate with the amount of capital invested. Gains measure only the quality of the choices made on behalf of the corporation. Gain becomes the reward for the virtue of leadership choices. As the company goes bankrupt, the previous gains remain the property of the shareholders, the compensation paid to the victims of this bankruptcy cannot exceed the amount of the capital. In the face of such asymmetry, it would be more correct to say that it is the contractor who is under limited liability and not the company.
During the Industrial Revolution, in the course of the XIX century, when left left without legal constraints of operation and redistribution, capitalism showed its inability to consider sharing. This inability to integrate the notion of sharing naturally leads, on the one hand, to a concentration of the wealth in an increasingly smaller number of hands and, on the other, to the impoverishment of the working classes. In his reference book «Capital in the 21st century», Thomas Piketty describes the mechanisms and consequences of the concentration of wealth. If from the end of WW I to 1980, Western democracies regulated the excesses of capitalism through taxation, social negotiation and anti-trust laws (read anti-monopoly), autocratic regimes were kicked out by Revolutions. Revolutions confiscated the wealth in favor of an alternative aristocracy. The Soviet Union and China are well-known examples.
If since the end of WW I to the mid-1980s, Western capitalism has given, against its natural tendencies, was forced to accept sharing, social laws, recognition of worker unions, taxation on profits. Since the fall of the USSR and the rise of libertarian dogmas, this acceptance of sharing has disappeared. Before 1980, the tax and regulatory pressure had not yet disappeared. These constraints limited the distribution of dividends to shareholders and encouraged the investment of profits in the creation of new products and services. Today, wealth is concentrated in an increasingly small number of hands, the middle classes are disappearing. Once regulations weakened, taxation reduced, Monopolies once fought back, returned as the main operators of the economy. By their very nature, monopolies, after having eliminated competition, lose the creative power, leave the domain of industry and economy to gain the upper hand, through corruption of the political power. The money spent by special interest groups (Lobbies) during election campaigns measures the level of corruption. Yesterday the entrepreneurs took the risk of losing their initial stake. Today the monopolies have reached such masses that, whatever the mediocrity of the management by their leaders, when they are on the verge of bankruptcy, the management groups succeed in making us believe that their bankruptcy, their disappearance would de facto lead to the end of the world. Too big to fail. When monopolies make profits, they are generously distributed to shareholders and managers. In the event of a reversal of the trend, the sclerotic economic models no longer generate profit and when the leaders hit the wall in an economic dead end they make the whole of society pay, via payments financed by the tax, the cost of their survival. The capitalists capture profits in case of winnings, claim cancellation of losses by the OPM (Other People Money, other people’s money). This is like playing a coin toss with the following rule: Tail I win, Face you lose. Here lies the mortal sin of capitalism.
At the beginning of the XXI century, Alan Greenspan, the head of the Federal Reserve, pleaded for a reduction of taxation and the relaxation of the regulation. When he retired in 2006, during the financial crisis of 2008, he reversed his position and claimed that the crisis had as its origin the disappearance of many regulatory constraints and the inability of the state to intervene massively. Within the framework of this article offering a solution would be ridiculously arrogant. Refusing to acknowledge the current failure of capitalism would be to show blindness.
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