Novembre 2025
Dans notre vie de tous les jours, nous sommes parfois confrontés à des blocages bureaucratiques.
Sur cet inépuisable sujet, David Greaber a écrit une étude à la fois académique et hilarante en forme de plaidoyer sur les travers de la société moderne. Je ne peux que chaleureusement vous en recommander la lecture.
La bureaucratie n’est pas intrinsèquement mauvaise, elle a pour vocation à garantir le bon fonctionnement de la société en se donnant pour fil rouge le respect de la loi. La beauté de la loi se situe dans un formalisme qui se veut irréprochable. Mais parfois, ce formalisme d’ici entre en conflit avec un formalisme qui lui est supérieur. C’est dans ce type d’aventure, à mon corps défendant, que je me suis aventuré en achetant une 2CV totalement restaurée.
Avertissement
L’ensemble de l’article peut, et j’en suis parfaitement conscient, contenir des contre-vérités juridiques, des contre-sens, et donc pouvoir être classé dans l’Ultracrépidarianisme. Sur ce sujet, les aspects juridiques et pas sur l’Ultracrépidarianisme, n’étant pas juriste féru en droit français et européen, si erreurs, contre-vérités et/ou contre-sens il y a, j’en assume l’entière responsabilité. Entière responsabilité, certes, mais en toute bonne foi. Il n’est nullement dans mes intentions de nuire à quiconque, mon objectif est juste de faire valoir un réel sentiment d’injustice.
Introduction en forme de prolégomènes
La mise en circulation d’un avion ou d’une automobile n’est pas simplement la décision de son constructeur. Cette décision, lourde de conséquences, est prise par une administration compétente, en lieu et place d’administration, j’allais écrire bureaucratie, mais cela aurait donné une connotation négative à ce qui suit. Les administrations concernées sont respectivement dans le cas d’un avion, l’EASA, administration européenne, et dans le cas de l’automobile, l’homologation des véhicules relève d’un ministère au nom long comme un jour sans pain, le MTEATTVL, ou pour les réceptions à titre individuel de l’UTAC. Il convient de noter que l’administration nationale en matière d’aviation, la DGAC, aujourd’hui ne certifie plus les aéronefs et délègue celle-ci à un organisme de certification européen mentionné plus haut, l’EASA.
Laissons de côté l’aviation et concentrons-nous sur l’automobile.
L’automobile, objet né il aura bientôt un siècle et demi, en 1880, est une création d’Amédée Bollé, un natif de la Sarthe. Il l’avait nommée la Mancelle. Ne soyez donc pas étonnés si la course d’endurance la plus célèbre au monde sont les 24 Heures du Mans.
Dans notre société, l’automobile se comporte en être juridique bizarre. Comme son patronyme l’indique, elle est mobile, comme tout meuble. Par meuble on entend tout ce qui n’est pas immeuble. Par exemple, une montre bracelet, si elle n’est pas un meuble meublant, une montre est néanmoins un meuble. Pour les meubles, le code civil pose comme principe dans son article 2276 alinéa 1 : « En fait de meuble, la possession vaut titre. » Donc, sauf preuve contraire, une facture au nom d’autrui, vous êtes le propriétaire légal de la montre que vous portez. Pour cette montre, il est fort peu probable que la Maréchaussée vous demande de faire la preuve de l’authenticité de votre propriété du meuble à votre poignet. En revanche, bien que votre automobile soit, par son usage, un meuble, le défaut de Carte Grise, sur requête de cette même Maréchaussée, ne sera pas sans conséquences. Si l’automobile est donc fonctionnellement un meuble, juridiquement, elle est considérée comme un immeuble mobile.
En 150 ans, l’automobile aura vécu plusieurs révolutions, d’objet d’un luxe rare, à l’automobile de monsieur Tout le Monde. L’automobile possède aujourd’hui ses musées, ses temples que sont les concessions où elles sont objets de désir, ses lieux de pèlerinage que sont les circuits de course, ses officines, les ateliers dans lesquels elles sont réparées et entretenues.
Bagnoles, sociologie et sododrosophile juridique
En 150 ans, l’auto est passée d’objet d’exception pour devenir un objet de consommation. Au fur et à mesure de l’intégration européenne et du commerce international, les barrières douanières et réglementaires protectrices sont tombées, au moins pour l’U.E… Qui se souvient qu’en France et en France seulement, les phares blancs étaient illégaux, les phares devaient être jaunes. L’Europe a mis fin à ce particularisme national qui apportait, par temps de brouillard, une réelle aide à la conduite. Désormais, une homologation belge, française ou allemande est valable sur l’ensemble du territoire de l’U.E.
Si une auto de 15 ans ne vaut presque plus rien, l’automobile ancienne fait remonter des souvenirs, tout comme le faisait la Madeleine de Proust. Ces anciennes autos trouvent aussi leur place dans notre histoire personnelle. Qui parmi nous ne garde pas un souvenir ému de la voiture du Grand-Père, de l’auto paternelle des belles vacances familiales, de cette autre auto de rêve, qui, au début de notre vie professionnelle, nous semblait intouchable et qui 30 ou 50 ans ou plus, devient l’objet d’un coup de cœur, objet qui se retrouve dans notre garage. C’est dans cette catégorie que l’on trouve les voitures de collection. Elles fédèrent des Clubs, regroupent les amateurs le dimanche matin qui friment, bavent de désir, se rincent l’œil dans des concentrations bon enfant où chacun compare les mérites de son jouet à celui de son voisin.
Or les voitures de collection, si elles roulent sur les mêmes routes que les autos tout-venant, leur usage diffère, elles sortent moins souvent, leurs propriétaires les bichonnent, elles relèvent, c’est une évidence, d’une réglementation différente. En France, c’est la FFVE qui est chargée, sous la tutelle du MTEATTVL de valider le passage en collection des véhicules qui lui sont présentés.
Quiconque possède, entretient, restaure une voiture ancienne sait qu’il sera confronté, un jour ou l’autre, à la recherche de pièces de rechange pour maintenir son auto en état de marche. Les constructeurs sont légalement tenus à fournir des pièces de remplacement 10 ans après la fin de commercialisation des véhicules. En France, cette durée est inscrite dans l’article L 110-4 du Code du Commerce.
Et la France n’est pas le seul pays à imposer cette garantie de fourniture de composants de remplacement. Au Royaume Uni, on trouve une myriade de sociétés qui proposent des composants pour entretenir les automobiles pour lesquelles les constructeurs ont délaissé le marché. Aux US, des brokers achètent à vil prix les stocks des concessionnaires qui ne sont plus obligés, par la loi, de fournir les pièces nécessaires aux réparations. Ces brokers sont très actifs sur l’Internet et pour ma vieille Mercedes, comme les pièces ne sont plus disponibles ici en France, je les achète soit aux US pour les pièces d’origine soit en Chine pour des copies conformes. Sur ce sujet, voir ce post publié en août 2025.
Les constructeurs et leurs concessions abandonnent les propriétaires d’autos anciennes alors que celles-ci sont des publicités vivantes valorisant l’ensemble des productions de ces derniers. Certains constructeurs l’ont intégré dans leur démarche commerciale, Ferrari par exemple offre ce service via « FERRARI CLASSICHE » à l’intérieur même de l’usine de Maranello. Tous les amoureux d’anciennes ne possèdent pas une Ferrari et force est de constater que les constructeurs ont déserté ce marché pourtant porteur de valeurs, la fourniture de composants pour l’entretien des ancêtres. Il arrive parfois qu’un constructeur ne pratique pas une politique de terre brûlée en détruisant les outillages, outillages revendus au prix du métal à la casse, outillages, presses… qui permettaient de produire les autos. Lors de la fermeture en 1990 de l’usine qui au Portugal produisant des 2CV, Citroën a revendu ou donné ces presses à une société du sud de la France, société dont le catalogue pléthorique permet d’entretenir nos 2CV, pas toutes, mais celles de la dernière génération, celles produites de 1970 à la fin en 1989.
S’il est légitime, au nom de la propriété intellectuelle, pour un constructeur d’automobiles, de disposer d’un monopole sur la fourniture des composants pendant la vie d’un modèle et pour les 10 ans qui suivent l’arrêt de la production, une fois cette dernière borne franchie l’exclusivité de la fourniture tombe de facto. Le marché alternatif des composants s’ouvre.
Les propriétaires des automobiles de collection ne peuvent donc plus s’appuyer sur les constructeurs pour entretenir leurs possessions et pourtant les autos roulent et de nombreux exemplaires peuvent faire rougir leurs cadettes bien plus récentes. Heureusement, des fournisseurs alternatifs proposent des composants, souvent que qualité, pour palier la défection, l’abandon, la désertion des constructeurs.
2CV / Un symbole / La Théorie confrontée à la Survie
Pour la dernière génération des 2CV, un dilemme crée quelques turbulences. Les outillages d’origine Citroën permettent de produire des châssis « authentiques », conformes aux châssis d’origine, à un détail non négligeable près toutefois. La qualité des aciers utilisés lors de la production industrielle des 2CV n’était pas, et de loin, irréprochable. Ces aciers rouillaient et, de facto, rendaient la 2CV inutilisable sans un échange par un nouveau châssis. Comme la 2CV était de conception fort ancienne, les premiers prototypes datent de 1936, que la caisse n’est pas « autoporteuse », le châssis est un composant comme un autre et peut être remplacé.
Afin de remplacer le châssis, en France et en France seulement, le châssis porte dans sa chair un numéro unique, numéro frappé à froid dans son quart avant droit, numéro qui identifie la 2CV de façon unique. En cas de remplacement du châssis par le constructeur ou dans le cas des châssis fabriqués par le Méhari Club Cassis avec l’outillage constructeur, ce numéro est reproduit, frappé à froid avant mise à disposition.
Si les châssis fabriqués par Citroën étaient protégés par la « Propriété Intellectuelle » et que, tout naturellement, ils bénéficiaient d’un monopole de fourniture, qu’en est-il des châssis produits par Méhari Club Cassis, cette société dispose-t-elle d’un monopole éternel sur la production de ce composant central de la 2CV ? Comment les directives européennes sur l’exercice du libre marché, peuvent-elles s’appliquer dans ce cas.
2CV / Un symbole / La Pratique confrontée à la Survie
La 2CV, objet de tous mes désirs, 4 ans avant mon acquisition, était en fort piteux état, de nombreuses pièces ont été remplacées, d’autres simplement remises en état. Le châssis d’origine ressemblait à du Gruyère Suisse, plus de trous que de matière. Il devait donc être remplacé. Un châssis a été acheté auprès de la société De Graaf, société qui aura fait validé la conformité du châssis pour mon modèle de 2CV auprès de trois organismes originaires de trois pays différents, à savoir le TÜV en Allemagne, le RDW aux Pays-Bas, le FOMV en Belgique. Un numéro de châssis unique généré par De Graaf a été riveté et non frappé à froid. Ce numéro diffère du numéro de châssis original pour éviter sa duplication qui ouvre la porte à des fraudes possibles.
Pour visualiser l’attestation pleine page, cliquer ICI.
L’image ci-dessus est un zoom extrait de l’attestation insérée plus haut.
Le formalisme de l’attestation semble offrir toutes les garanties de conformité à la fois fonctionnelles et de sécurité du châssis produit par De Graaf. Il faut croire que ce n’est pas le cas, car deux organismes, pour des motifs différents, refusent la conformité du châssis. Ces deux organismes sont la FFVE et l’Aventure Peugeot-Citroën.
Chapitre 1 Le Refus FFVE
Mais prenons les choses dans l’ordre chronologique et débutons par le refus par la FFVE de classer la 2CV en Collection. Pour classer ma 2CV en véhicule de collection, comme tout un chacun, j’ai rempli un dossier courant avril 2025. Bien que le dossier soit formellement complet, alors que je résidais à l’étranger, la FFVE me demande la facture du châssis courant juin 2025. Ne pouvant fournir le document demandé, j’informe la FFVE que celui-ci leur sera transmis, dès mon retour en France, fin juillet 2025. A la mi-juillet, soit deux semaines avant la transmission du document demandé, la FFVE oppose un refus à ma demande de classement au motif présenté ci-dessous.
Sans même avoir reçu l’attestation de conformité du châssis, la demande de classement en véhicule de collection est rejetée. Comme je conteste vigoureusement ce rejet, la FFVE m’informe qu’un recours est possible auprès du MTEATTVL, acronyme qui signifie Ministères de la Transition Ecologique des Territoires des Transports de la Ville et du Logement.
Chapitre 2 Ma réclamation auprès du MTEATTVL
Dont acte, par le site du Ministère, je monte une réclamation et ouvre un dossier. Sa bonne réception est confirmée par un Accusé de Réception électronique qui m’informe qu’il est inutile de relancer le ministère avant un minimum de 11 jours, délai fort raisonnable. Après 3 semaines, sans retour du ministère, je les relance par courrier et, à ma plus grande et heureuse surprise, je reçois un appel téléphonique d’un agent du ministère avec qui un très cordial et fructueux dialogue s’établit. En conclusion de cette conversation, je suis informé que dès lors que l’Aventure Peugeot Citroën valide l’attestation de conformité du châssis, ma demande de révision est recevable.
Chapitre 3 L’Aventure Peugeot-Citroën
Afin de faire accepter mon châssis et enfin pouvoir passer ma 2CV en Collection, j’adresse à l’Aventure Peugeot-Citroën le courriel suivant :
Bonjour,
je souhaite passer auprès de la FFVE ma 2CV en "Collection",
celle-ci est totalement restaurée.
A cette fin je souhaite obtenir un certificat de conformité
du châssis utilisé pour cette restauration.
Vous le trouverez en PJ.
En restant à votre disposition pour toute action complémentaire.
Cordialement.
La réactivité de l’association mérite d’être soulignée et sa réponse est la suivante :
Bonjour,
La société De Graaf n’a pas d’agrément du constructeur pour la refabrication des plateformes et commercialise ce qu’il convient d’appeler des contrefaçons.
Un véhicule équipé d’une telle plateforme non homologuée en France ne peut obtenir aucun document officiel.
A ce jour, seul les plateformes « origine » du Méhari Club Cassis sont acceptées.
Bien cordialement,
Donc une brutale fin de non-recevoir qui appelle plusieurs remarques.
- L’aventure Peugeot-Citroën se place en interface entre le constructeur, Citroën, et le monde extérieur. Citroën a cessé la fabrication de la 2CV depuis plus de 10 ans et, de facto, ne fournit plus de châssis. De ce fait, Citroën perd le monopole de la fourniture de châssis ou de l’agrément pour des productions extérieures. Dans ce cas, si l’agrément Citroën des châssis Méhari Club Cassis peut être considéré comme valide, d’autres organismes de certification reconnus peuvent, eux aussi, offrir cet agrément.
- L’utilisation par l’Aventure Peugeot-Citroën du mot « contrefaçon » en ce qui concerne la production par De Graaf de châssis attestés conformes est, au mieux, maladroit et au pire diffamatoire pour la société De Graaf. Cette maladresse ou diffamation vaut aussi pour les organismes de certification reconnus et mentionnés dans l’attestation. De plus, si ces châssis étaient des contrefaçons, il conviendrait que les ayants droit alertent les autorités compétentes et fassent en sorte que les douanes interdisent l’entrée sur le territoire d’objets portant atteinte à la sécurité publique et au droit de la propriété intellectuelle.
- Il convient de noter que ces criminels faussaires, De Graaf, TÜV, RDW et FOMV, sévissent depuis plus de 20 ans. Dans ce cas, soit la Justice s’est endormie et l’Aventure Peugeot-Citroën se les gratte avec des cuisses de cloportes ou peut-être et c’est le plus probable, en ce qui concerne cette production, il ne s’agit pas d’une contrefaçon.
- Si le châssis fabriqué par De Graaf, châssis monté sur ma 2CV ne peut obtenir une certification officielle de conformité, ma 2CV ne devrait pouvoir se voir attribuer une Carte Grise, un Contrôle Technique vierge de défaut et donc se voir interdire l’accès à la circulation sur la voie publique.
- L’aventure Peugeot-Citroën, au nom de Citroën, le constructeur, ne peut se prévaloir de la propriété intellectuelle sur la production du châssis et imposer le monopole de la fourniture des châssis par le Méhari Cassis Club.
- Enfin, et c’est probablement un point critique, il est dangereux d’être à la fois juge et partie. Ni l’Aventure Peugeot-Citroën, ni la FFVE, et pour cette dernière ce n’est pas sa mission, ne disposent des capacités techniques pour attester de la conformité d’un composant à la réglementation. Seul un organisme externe au constructeur, ou éventuellement le constructeur lui-même, peuvent attester de la conformité d’un composant. En cela, l’histoire récente de BOEING qui s’était vu attribuer par la FAA une partie des tâches de certifications, prouve qu’il est impératif de ne pas être à la fois juge et partie dans ce type de processus.
Chapitre 4 la réponse du MTEATTVL
Le 18 novembre 2025, j’ai fait parvenir au ministère un document pour demander la révision du refus de classement en véhicule de collection par la FFVE. A l’heure où cet article est rédigé, 4 jours après son envoi, ma demande est dans la moulinette, il n’est pas utile de relancer le ministère avant début 2026. Au vu des échanges avec celui-ci, j’ai bon espoir que ma demande ne soit pas enterrée et de recevoir une réponse avant janvier 2026, réponse que j’espère positive.
Donc à suivre…
